18

Sur le quai nord, Bak examinait le navire d’Inyotef. Rien n’avait changé depuis la dernière fois. Les voiles, les cordages, les rames, le matériel de pêche étaient exactement tels que la veille au soir. Le pilote avait l’intention de fuir dans un autre bateau, ou de quitter Iken par un moyen dont Bak n’avait pas la plus petite idée. Il ne suivrait certainement pas les pistes du désert. S’il restait près du fleuve, il serait aisément capturé, mais quitter ces eaux dispensatrices de vie relevait du suicide.

« Non, pensa Bak. C’est un marin, un homme du fleuve ; il s’échappera en bateau. » Cette formulation étant trop pessimiste, il modifia sa prédiction : « Il tentera de s’échapper en bateau, et je serai là pour l’en empêcher. »

Il se raccrocha à cette idée tout en passant en revue les embarcations rangées de ce côté. Hormis une barque de pêcheur au gouvernail cassé et une nacelle de papyrus si détrempée qu’elle semblait sur le point de couler, le seul navire de petite taille était celui d’Inyotef. Les autres avaient été déplacés par leurs propriétaires sur le quai sud. La nef d’Amon était attachée tout contre le revêtement et se balançait doucement, sa coque dorée étincelant au soleil en ce milieu d’après-midi. Sur les mâts et les cordages du vaisseau de guerre amarré à proximité palpitaient des étendards aux multiples couleurs. Des matelots se reposaient sur le pont et en haut de la cabine dans l’attente des dieux et du roi, des prêtres et des dignitaires de la région. Leurs échanges de conversation animés avec les équipages des deux navires qui transporteraient la suite royale parvenaient aux oreilles de Bak.

Il marcha jusqu’au bout du quai et laissa son regard se perdre dans les eaux brun-rouge pailletées d’argent, dont le soleil caressait les rides. Ses muscles malmenés s’étaient décontractés, mais il était harassé et inquiet, et devait constamment s’exhorter à ne pas renoncer. Il avait couru de chez Inyotef au temple d’Hathor, devant lequel il avait trouvé Imsiba et les Medjai attendant le roi confié à leurs soins, en compagnie de Houy et d’autres officiers de la garnison. Ceux-ci lui avaient confirmé qu’on n’avait pas vu Inyotef depuis la veille au soir.

Le policier s’était hâté de regagner la ville basse avec un renfort de six lanciers. Là, Kasaya, revenu de l’île pour lui prêter main-forte, s’était joint à eux. Le petit groupe était entré dans toutes les maisons et les entrepôts qui bordaient la route officielle de la procession, pour avertir les habitants de n’inviter que ceux qu’ils connaissaient sur leur terrasse et de condamner chaque cachette éventuelle située à portée de flèche. Pendant tout ce temps, ils priaient ardemment afin de retrouver Inyotef, toutefois les dieux n’avaient pas daigné leur sourire. Les lanciers avaient perdu peu à peu leur entrain et même le gai Kasaya devait prendre sur lui pour conserver sa bonne humeur.

Bak contempla le quai sud, encombré de vaisseaux de toutes tailles noirs de spectateurs. Rien ne pourrait retenir les petits esquifs dès que le groupe officiel aurait quitté le port.

Il retourna sur la berge, franchit le cordon de sentinelles en tenue de cérémonie barrant l’accès du quai à la foule, et il se planta tout au bas de la pente qu’emprunterait Amon-Psaro. Celle-ci était bordée par des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants dont les voix mêlées montaient et refluaient, percées de temps à autre par un rire juvénile, un appel, l’apostrophe d’un colporteur vantant ses marchandises. Les habitants de la lointaine Kemet, vêtus de lin blanc et de bijoux aux couleurs vives, côtoyaient des cultivateurs à demi nus qui vivaient chichement sur les terres arides du Ventre de Pierres, et des nomades en haillons. De riches membres des tribus voisines et des villageois en pagne blanc rehaussés de manteaux et de bijoux colorés se tenaient parmi des gens du Sud profond, parés de peaux de bête, de plumes et de rubans, le visage et le corps scarifiés ou peints. Ces quelques derniers jours, par les pistes du désert et par le fleuve, une foule avait afflué de contrées éloignées pour voir le plus grand d’entre les dieux de Kemet et le roi kouchite venu implorer son aide.

Bak se fraya un chemin à travers les badauds et aperçut un marchand ambulant. Après quelques palabres, il repartit muni d’une cruche de bière et d’un petit pain pour se diriger vers un entrepôt délabré, à quelques pas derrière les spectateurs massés le long de la rue. Un lancier de faction en haut d’un mur en ruine descendit d’un bond pour rendre son rapport – rien à signaler –, puis il se fondit dans la foule. Bak grimpa sur le mur et s’assit, les jambes pendantes. Tout le bas de la rue et le port s’étendaient sous lui. Il repéra Kasaya et ses camarades qui évoluaient parmi les curieux, posant des questions, scrutant les visages.

Bak déchira un morceau de son pain, sucré aux dattes hachées, et but sa bière à petites gorgées. Comme il aurait aimé oublier Inyotef et savourer ce spectacle somptueux ! Le temps restait clément, la brise aussi douce et suave que le baiser d’une déesse. L’air sentait le fleuve et le poisson, la sueur et les parfums. Une poussière impalpable, soulevée par des centaines de pieds, se fixait sur les corps moites et les cheveux huilés. Des chiens, grands et efflanqués ou petits et boudinés, noirs, tachetés, blancs, marron ou gris trottaient un peu partout, reniflant les talons, fourrant le museau dans des emballages vides en quête de leur pitance. Quelques ânes attachés à l’écart mâchaient du foin en trépignant d’impatience et fouettaient l’air de leur queue pour se débarrasser des mouches. Trois corbeaux perchés sur des toits lançaient des croassements rauques et insistants.

Malgré son désir d’oublier sa mission, Bak ne pouvait s’empêcher de penser à Inyotef et de craindre pour Amon-Psaro.

 

— S’il veut attaquer, c’est l’instant ou jamais, dit le capitaine Meri, élevant la voix pour se faire entendre par-dessus le brouhaha. Avant qu’Amon-Psaro n’arrive sur le quai.

L’officier, solidement charpenté et le menton volontaire, ne devait pas avoir loin de quarante ans. Grand et droit, il se tenait à la proue de sa nef de guerre d’où il regardait les prêtres approcher à la tête du cortège. Comme Senou et les autres officiers de garnison, il était vêtu d’un pagne blanc lui arrivant à mi-cuisse et sa poitrine s’ornait d’un collier large assorti à ses bracelets, en perles multicolores. Mais pour compléter sa tenue, il arborait une courte perruque aux boucles serrées, plusieurs bagues et un bâton de commandement. Près de lui, Bak se sentait tel un humble moineau partageant son perchoir avec un bel oiseau au plumage éclatant.

Pour la centième fois peut-être, il vérifia que tout était en ordre. Ses yeux se posèrent sur les prêtres – reconnaissables à leurs pagnes longs jusqu’aux chevilles, à leur pectoral et à leur crâne ras –, puis sur la rue en pente, avant de scruter le quai jusqu’aux vaisseaux de plaisance à l’extrémité la plus éloignée. Son regard balaya le port et détailla les navires attachés au quai sud, dont les flancs se pressaient comme avec réticence.

— Un homme capable de courir compterait s’échapper en profitant du désordre, admit Bak. Rappelle-toi néanmoins qu’Inyotef est estropié. De plus, il est depuis longtemps un homme du fleuve, d’une expérience peu commune sur un bateau.

Meri concéda de mauvaise grâce, mais non sans un certain respect pour la justesse du raisonnement :

— Sur l’eau, il est si agile que j’en oubliais qu’il boite.

Bak reporta son attention sur le cortège. Les prêtres psalmodiaient une mélopée en descendant la rue pendant que, de part et d’autre, les masses captivées clamaient leur adoration en jouant des coudes pour mieux voir. Les prêtres franchirent le cordon de soldats et pénétrèrent sur le quai. Un ravissement extatique ne quittait pas leurs traits, cependant Bak imaginait bien leur soulagement d’avoir atteint le port.

Pendant que la tête de la procession dépassait le vaisseau de guerre, Kenamon arrivait sur le quai en agitant devant lui son encensoir. Il arborait la tenue d’apparat seyant à son illustre position : un long pagne blanc, une tunique à manches courtes, une robe en lin fin, un pectoral en or couvrant sa poitrine. Son visage paisible et serein était exempt de toute préoccupation matérielle tel le risque d’un attentat. À ses côtés marchait le prêtre d’Hathor, un jeune homme joufflu, moins imposant mais d’un calme identique. Un nuage à l’odeur pénétrante flottait autour d’eux.

Les marins se pressèrent contre le bastingage, un respect craintif dans les yeux, et leurs cris se perdirent dans la clameur générale. Bak adressa un signe de tête à Kasaya, qui, armé d’une longue lance, barrait l’accès à la passerelle en lançant des regards farouches de tous côtés. À bord des navires de plaisance, les lanciers patientaient en admirant la procession avec le même enthousiasme que les spectateurs en transe.

Derrière Kenamon, quatre prêtres de rang subalterne purifiaient le chemin des divinités au moyen d’encens et de libations. Amon suivait dans sa barque dorée, haut sur les épaules de quatre porteurs en robe blanche, sa châsse d’or ouverte afin que tous puissent contempler l’élégante statuette d’or représentant un homme coiffé d’une couronne à deux plumes. Sur les côtés, quatre autres prêtres rafraîchissaient le dieu à l’aide d’éventails en plumes d’autruche. Dans une seconde barque, moins richement ornée mais d’une réelle beauté, voguait la statue dorée d’Hathor sous sa forme humaine. Elle était escortée par deux hommes qui l’éventaient et suivie par sept femmes parées de longs fourreaux blancs et de colliers larges, chacune agitant un sistre à l’effigie de la déesse.

Bak interrogeait du regard l’horizon, le port et le fleuve sans rien déceler d’anormal. Mais l’évidence qui s’imposait à ses yeux ne pouvait chasser son anxiété. Inyotef était tapi quelque part, tout près ; il le sentait au plus profond de lui-même.

Les prêtres ouvrant la marche gravirent la passerelle du premier navire de plaisance. Pendant ce temps, Kenamon, le jeune prêtre d’Hathor et les divinités passaient devant le vaisseau de guerre d’un pas lent et majestueux. À leur suite, dix hommes rasés et purifiés pour l’occasion portaient les coffres dorés, incrustés et peints qui renfermaient les objets rituels et des vêtements du dieu.

Après venait un héraut sonnant de sa trompette, ses joues gonflées écarlates sous l’effort. Le premier contingent de Kouchites apparut alors sur le quai : quarante lanciers en pagnes de cuir, arborant de longues plumes dans leurs cheveux teints en rouge et en jaune. Derrière eux ondoyaient au bout de longues hampes vingt étendards blanc et rouge, qui précédaient le commandant Ouaser et le roi Amon-Psaro.

Les joyeuses oriflammes emplirent le cœur de Bak d’appréhension. Il savait aussi sûrement qu’il connaissait son propre nom que tous les navires du port avaient été fouillés et tous les hommes contrôlés, pourtant il était également certain qu’Inyotef attendait son heure. Oubliant le capitaine et les matelots, Bak grimpa sur le gaillard d’avant afin d’avoir une vue d’ensemble.

Dans la ville basse, les cris s’étaient amplifiés, gagnant en enthousiasme ce qu’ils avaient perdu en ferveur religieuse. Ils annonçaient que la suite royale était passée et que les troupes de la garnison paradaient devant leurs familles. Les navires marchands amarrés au quai sud ne manifestaient aucun signe d’activité, mais les bateaux de petite taille se préparaient à partir. À l’instant où le premier navire de plaisance mettrait les voiles, ils fileraient à travers le port tel un vol de canards impatients.

Bak tourna la tête vers le bout de l’embarcadère et jura entre ses dents. Deux soldats observaient un petit esquif flottant hors d’atteinte. À peine davantage qu’un canot à rames, son mât abaissé et la tête de mât reposant sur la proue, il dérivait dans le sens du courant vers la sortie du port, où il couperait la route des navires. Bak jura de nouveau. Inyotef l’obsédait sans relâche. Mais la barque flottait trop haut pour supporter le poids d’un homme.

Les soldats l’observaient toujours en discutant, probablement pour décider s’il valait la peine de la ramener à la nage. L’un d’eux secoua la tête, et ils tournèrent les talons pour remonter le quai. « La barque est vide », se dit Bak. Toutefois, une image prit forme dans ses pensées : celle du pilote accroché à l’extérieur de l’embarcation, la guidant sur les flots à l’insu de tous.

Hésitant, inquiet, Bak reporta son regard vers la procession. Les lanciers kouchites s’étaient scindés pour former une haie des deux côtés du quai. Trois hérauts s’avancèrent au milieu, levant haut leur trompette, les joues prêtes à éclater pour percer l’air de leurs notes stridentes. Enfin vinrent les porte-drapeaux kouchites précédant leur roi.

Bak observa de nouveau l’esquif, de l’autre côté du port. Il le vit partir à la dérive sans pouvoir ni l’arrêter ni s’assurer qu’il ne constituait pas un danger. Il n’avait aucun moyen de l’atteindre, pas plus que d’alerter les soldats de garde sur le quai. Ceux-ci auraient été trop loin pour distinguer ses cris, même sans la clameur de la foule, et le temps de leur envoyer un messager, la barque serait plus proche du quai nord où se trouvait Bak. La patience ne figurait pas au nombre de ses vertus premières, mais il n’avait pas le choix.

Il arracha son regard du petit bateau pour découvrir l’homme qui ne quittait pas ses pensées depuis près d’une semaine. Le roi Amon-Psaro, grand et bien découplé, les cheveux grisonnants, avançait avec l’expression figée de la royauté. Mais malgré son menton haut et ses yeux fixés sur l’horizon lointain, son beau visage portait l’empreinte de ses soucis. Rappelant par sa tenue qu’il avait passé sa jeunesse au pays de Kemet, il avait choisi d’arborer un simple pagne blanc, un collier large et des bracelets d’or et de lapis-lazuli. Il était chaussé de sandales en or. Sur son front, il avait ceint le diadème à deux cobras de sa maison royale. Le commandant Ouaser, pâle et tendu dans son plus beau costume de cérémonie, marchait légèrement en retrait.

Quatre hommes transportaient le prince, petite ombre de son père, assis dans une litière dorée. Un cinquième, sur le côté, éventait l’enfant en actionnant un chasse-mouches. À la façon dont sa petite poitrine se soulevait, Bak comprit qu’il avait peine à respirer. Il n’en fut pas étonné. L’odeur de l’encens, presque suffocante, se fondait dans les violents parfums exotiques provenant de fleurs et d’arbres inconnus, qui poussaient dans de mystérieuses contrées.

Imsiba et les dix policiers medjai progressaient derrière les illustres personnages dont ils avaient la charge, resplendissant de fierté et pourtant sur le qui-vive.

La barque continuait de dériver vers le nord sans rencontrer d’obstacle.

Un roulement de tambour ramena l’attention de Bak vers la cérémonie. Le navire transportant les prêtres et les dieux était chargé plus que de raison. Le capitaine avait pris place à la proue, les barques portatives étaient posées sur le pont au milieu des prêtres et les rameurs n’attendaient plus que le rythme vigoureux du tambour qui fixait la cadence.

Le capitaine du second navire, au pied de la passerelle, s’apprêtait à accueillir la suite royale.

Bak regarda de l’autre côté du port et pesta une fois encore. Les petits bateaux quittaient le quai sud. Les rameurs déployaient toute leur adresse pour s’extirper d’entre les navires imposants, chacun déterminé à traverser le port avant les autres et à conduire la flottille vers le fort de l’île. Le canot vide se balançait doucement sur la houle légère, avançant à peine. Il serait bientôt rattrapé par les autres embarcations. Rattrapé et entouré. Perdu dans la masse.

Amon-Psaro et sa suite parvinrent à la hauteur du vaisseau de guerre. Meri salua avec son bâton de commandement et Bak leva la main. Le roi continua de regarder droit devant lui avec un dédain majestueux, mais Ouaser lança vers Bak un coup d’œil qui exprimait une interrogation muette. Le lieutenant secoua la tête presque imperceptiblement. La litière approcha. Ses grands yeux sombres tout arrondis, le prince montrait un visage animé et un sourire ravi. Si malade qu’il soit, il ne se sentait pas mal au point de ne pouvoir s’amuser, et n’était pas imbu de lui-même au point de dissimuler son plaisir.

Imsiba et les Medjai arrivèrent à leur tour près du vaisseau. Le grand sergent redressa sa lance et salua ostensiblement son officier supérieur en nage et débraillé ; les autres hommes l’imitèrent. Sans pouvoir réprimer un sourire de fierté, Bak leur adressa le même salut qu’au roi.

Le battement du tambour crût en force et en rapidité. Au bout du quai, le premier navire fendait les flots et virait dans le courant en direction de l’île. Hérauts et porte-étendards se tenaient au garde-à-vous pendant que la suite royale s’avançait vers le second. Le capitaine tomba à genoux devant Amon-Psaro et posa le front sur la pierre en signe de son très vif respect. Le jeune prince sourit avec ravissement. Imsiba et les Medjai parurent déconcertés et inquiets de cette interruption imprévue.

Derrière la garde d’honneur, les nobles kouchites progressaient d’un pas digne, en tête de leur petite cour respective. Chaque groupe gaiement chamarré avec ses vêtements, ses bijoux et ses coiffes multicolores arborait l’étendard de sa tribu ou de sa province.

De l’autre côté du port, là où Bak avait vu le canot pour la dernière fois, plus de vingt petits bateaux se hâtaient de rattraper le navire de tête tels des canetons courant après un héron. Pour autant que Bak puisse en juger, toutes les barques transportaient au moins trois passagers. Se maudissant d’avoir quitté des yeux l’esquif à la dérive, Bak scruta le fleuve plus loin en aval. Il n’y vit que quelques oiseaux blancs se laissant porter par l’onde. Il chercha aussitôt vers la pointe sud de la grande île et les affleurements rocheux où le fleuve se scindait pour pénétrer les rapides, mais il savait qu’aucun bateau ne pouvait dériver aussi loin, aussi vite. Le seul coin du port qu’il ne pouvait voir était l’extrémité du navire sur lequel Amon-Psaro se préparait à embarquer.

Son estomac se noua ; il ne pouvait plus respirer.

Les accents des trompettes et le battement du tambour déchirèrent le ciel. Amon-Psaro montait à bord.

Bak sauta du gaillard d’avant, courut le long du pont et, criant à Kasaya de le suivre, dévala la passerelle. Il fonça sur le groupe exotique des nobles kouchites qu’il écarta d’un coup d’épaule, piétina les sandales, froissa les plumes et les peaux de bêtes en provoquant l’indignation. Kasaya le talonnait, la mine sombre, le bouclier et la lance en position de combat. Les hommes trop stupéfaits pour les frapper s’égaillaient tels des oiseaux devant un chacal, en vociférant des insultes que Bak devinait à défaut de les comprendre.

Il franchit le premier groupe de nobles et hurla le nom d’Imsiba, qui, de la passerelle, tentait de découvrir la cause de cette agitation. Se méprenant en voyant la mêlée et ne pouvant entendre dans le brouhaha, le grand Medjai vola au secours de Bak. Celui-ci aperçut Amon-Psaro, debout avec son fils près de la cabine aux couleurs vives. Le monarque observait le quai pour tenter de comprendre de quoi il retournait. Bak vit des marins à genoux tout autour du pont et des rameurs courbés sur leurs avirons. Il vit le capitaine hésiter et Ouaser, inquiet, s’approcher de la passerelle. Et puis il vit Inyotef, armé d’un long poignard effilé, se hisser par-dessus la rambarde près de la poupe, où nul ne pouvait le remarquer.

Bak cria de nouveau, mais ses paroles d’avertissement furent couvertes par l’écho des instruments. Il brisa la garde d’honneur paralysée par la surprise, fit signe à Imsiba et monta à toute allure sur le navire. Le sergent avait fait volte-face et le suivait avec Kasaya. Bak bondit sur le pont et se précipita vers Amon-Psaro. Le roi recula, croyant avoir affaire à un dément. Cherchant sa dague à tâtons, il fit un pas en arrière, puis un autre et un autre encore, tout en adressant des coups d’œil éloquents à Imsiba pour que le grand Medjai maîtrise le forcené. Ses pas le portèrent vers l’angle de la cabine, derrière laquelle surgissait Inyotef, l’arme levée pour infliger la mort.

Bak fonça sur le roi, le poussa brutalement et frappa Inyotef d’un coup d’épaule qui le projeta contre la rambarde. Bak se campa en face de lui, genoux fléchis, bras écartés, prêt à en découdre.

Derrière lui, Amon-Psaro s’écria avec stupéfaction :

— Toi ? Inyotef ?

Les traits déformés par la haine, le pilote se fendit en avant. Bak tenta d’esquiver, mais la pointe de la lame traça un mince sillon rouge en travers de son torse et balafra d’une profonde entaille le bras et le thorax d’Amon-Psaro. Bak vit le sang couler de la poitrine du roi, il sentit la morsure de sa propre blessure, il entendit Imsiba et les témoins de la scène pousser des cris d’horreur. Il s’élança pour se placer dans l’arc du poignard, trop près pour que Inyotef puisse frapper à nouveau. Alors celui-ci se retourna brusquement, prit appui sur la rambarde et sauta par-dessus bord.

D’abord désarçonné, le lieutenant fut prompt à réagir. Il enjamba la rambarde et découvrit, tout contre la coque, le canot dans lequel Inyotef s’emparait frénétiquement des rames pour s’écarter du navire. Bak sauta, rencontra l’eau entre les deux bateaux et coula comme une pierre. Le temps qu’il remonte à la surface, le canot fendait les flots et s’approchait du bout du quai. Dès qu’il aurait gagné le courant à l’extérieur du port, il serait hors d’atteinte.

Serrant les dents, Bak nageait d’un mouvement rapide et puissant. Une demi-douzaine de Medjai se penchaient par-dessus bord, au-dessus de lui. Prêts à lancer leur javelot, ils hésitaient pourtant, car le pilote s’était insinué parmi les quelques petits bateaux de la flottille restée en arrière pour escorter le roi kouchite.

Imsiba courut jusqu’au bout du quai, attendit qu’Inyotef ait distancé les bateaux, puis projeta sa lance. Elle manqua de peu sa cible et se ficha dans la coque. Le pilote releva la tête et nargua le Medjai, un rictus aux lèvres. Imsiba arracha alors une longue bannière rouge des mains d’un porte-drapeau ébahi et lança la hampe tel un javelot. Inyotef l’esquiva, mais reçut la bannière en plein visage. Il l’écarta avec un grognement rageur et rama rapidement pour s’éloigner du quai.

Profitant de cette diversion, Bak avait rattrapé le canot et se hissa à bord du côté de la poupe. Le bateau oscilla sous son poids. Inyotef perdit l’équilibre et rampa jusqu’à la proue, où la voile était roulée. Il se redressa près du mât abaissé et voulut assener un coup de rame sur le policier. Bak se baissa, heurta le montant du gouvernail et entendit un craquement sinistre. Il tenta en vain de retenir la barre et la regarda s’enfoncer dans l’eau. Le bateau tangua, s’emballa et dévia vers un tronc de palmier à demi pourri, charrié par le courant impétueux. Bak tomba assis sur une traverse. Inyotef plongea la seconde rame dans l’eau pour stabiliser le canot, devenu impossible à manœuvrer. Une outre gonflée formait entre eux un obstacle gris et poilu, au milieu de la coque.

Inyotef pointa l’autre rame vers Bak en l’observant avec froideur.

— Tu as toujours eu la tête dure. J’aurais dû mettre un terme à ta vie et à tes questions dès le jour où tu as posé les pieds à Iken.

— Pourquoi ne l’as-tu pas fait ? répondit distraitement Bak.

Il ne pensait qu’au moyen d’arracher la rame au pilote, pour s’en servir comme d’un gouvernail et accoster avant les rapides.

— Un homme peut être obstiné sans avoir assez d’intelligence pour constituer un danger.

Bak remarqua le compliment implicite – ou était-ce une insulte ?

— Tu as largement essayé de réparer ton erreur ! J’ai pris ton attaque à la fronde pour ce qu’elle était : un simple avertissement. En revanche, le serpent caché dans mes draps était destiné à me tuer. La même volonté sous-tendait l’habile sabotage de la barque du capitaine Houy.

Inyotef répondit avec un rire cynique :

— Remercie Neboua, car c’est lui qui m’y a décidé ! S’il n’avait pas chanté tes louanges si haut et si fort, je n’aurais pas su quel adversaire formidable j’avais en face de moi.

— Je comprends que tu aies voulu te débarrasser de moi, mais qu’avais-tu contre Houy ? interrogea Bak, qui se prépara discrètement à bondir en avant.

Inyotef le considéra avec la méfiance d’un chien sauvage.

— De tous les hommes qui remontèrent vers le nord avec le prince otage Amon-Psaro, Houy fut le seul à se soucier sincèrement de son bien-être, le seul à s’enquérir de lui à Ouaset après son retour de terres lointaines. Je craignais qu’il n’en sache trop.

Bak se promit une fois encore de signaler au roi la présence de Houy à Iken – s’il en avait jamais l’opportunité.

— Je m’étonne que tu ne m’aies pas tué depuis longtemps, après le mal que je t’ai fait.

Inyotef posa l’extrémité de sa rame sur le bord de la coque pour ménager la force de son bras.

— Tu n’es pas plus responsable de ma blessure que ce malheureux cheval. J’ai eu tort de me tenir trop près de la passerelle, ce jour-là, et de rire si fort que la bête a pris peur.

Bak se pénétra de cette information, la goûta et la savoura. Pourtant, bizarrement, il n’en fut pas surpris.

— Je doute que ta lame ait sérieusement blessé Amon-Psaro, Inyotef. Ta tentative a échoué.

Inyotef posa les yeux sur la ligne sanglante barrant la poitrine de Bak.

— Peut-être. Mais il sait désormais que je peux l’atteindre, et il sait que je recommencerai. Je n’ai plus rien à perdre.

La détermination implacable de cet homme donna le vertige à Bak.

— Retournons à Iken.

— Jamais je ne serai ton prisonnier.

— Et jamais je ne te laisserai t’échapper, répliqua Bak d’une voix dure.

— Il semble que nous soyons dans une impasse, constata Inyotef avec un amusement glacial. Te voici trop près pour lancer ta dague avec force et trop loin pour me l’enfoncer dans le cœur. Moi non plus, je ne puis utiliser mon arme. Tant que tu n’approches pas, je ne peux te défoncer le crâne avec cette rame. Et tant que tu restes assis à me bloquer dans la proue, je ne peux diriger mon bateau.

Bak contempla le fleuve devant eux, au flux rapide mais uni et sûr, du moins pour l’instant. Le navire transportant les divinités et les prêtres, ainsi que la flottille qui l’escortait, s’était engagé dans le chenal qui le conduirait au fort de l’île. Un regard preste en arrière lui montra la nef d’Amon-Psaro encore à quai, entourée d’un essaim de barques dont les rameurs s’étonnaient de ce retard. Imsiba viendrait à la rescousse, mais combien de temps lui faudrait-il pour réquisitionner un bateau ?

Leur canot paraissait flotter vers la pointe sud de la grande île, mais ce n’était qu’une illusion. Bientôt, le courant se diviserait et les emporterait soit vers la gauche, le long du canal jouxtant le désert au nord de la cité, soit vers la droite, dans un des étroits goulets aux eaux furieuses percées de rochers redoutables.

Idée effrayante, à laquelle Bak refusait de penser.

— Puis-je me fier à toi et te laisser approcher ? Te laisser ramer ? Permets-moi d’en douter. J’ai rencontré peu d’hommes aussi féconds en mensonge et en fourberie. Le meurtre de Pouemrê était presque parfait.

Un sourire sardonique se forma sur les lèvres d’Inyotef. Bak en profita pour saisir l’aviron posé sur le rebord de la coque et l’arracher au pilote qui, fulminant de rage, sortit la seconde rame de l’eau et la saisit à deux mains tel un gourdin, pour frapper. Bak brandit la sienne et para le coup. Les armes se percutèrent avec un craquement sonore. Sous la brutalité du choc, Bak sentait ses mâchoires trembler. Le bateau tanguait violemment et faisait rejaillir des éclaboussures.

— Veux-tu que nous mourions ensemble, mon jeune ami ? le nargua Inyotef.

Bak essuya l’eau et la sueur qui baignaient son front.

— Si par miracle tu t’enfuis, où iras-tu ? Le désert s’étend des deux côtés du fleuve et la nouvelle se répandra au nord et au sud. Comment peux-tu espérer croiser de nouveau le chemin d’Amon-Psaro ?

— Qui parle de s’enfuir ? Je le tuerai, ici et maintenant.

Par ces mots, le pilote venait d’exclure toute mesure intermédiaire que le policier aurait pu envisager. Sa seule alternative se résumait à arrêter Inyotef ou à le tuer.

— Tu le hais donc à ce point ?

— Il a détruit ma sœur.

Sans crier gare, Inyotef lui assena un coup de rame. Bak contre-attaqua et le bateau, tanguant de plus belle, adopta une trajectoire oblique en travers du courant et dériva à droite, vers le fort. Bak songea qu’il pourrait y obtenir de l’aide. Il s’efforça de ne pas entendre le grondement des rapides barrant le premier chenal latéral, pareil au chant des sirènes pour un navire sans gouvernail.

— Tu provoquerais une guerre dans le seul but de satisfaire un sens douteux de l’honneur familial ?

— Douteux ? Il l’a séduite et abandonnée ! Alors qu’elle rêvait de passer sa vie dans ses bras, il est parti comme si elle n’existait pas ! Il lui a ôté la vie aussi sûrement que je lui ôterai la sienne.

Inyotef était inaccessible à la raison. Il avait trop longtemps vécu avec sa haine, il avait passé trop d’années à mûrir sa vengeance.

Le fort se dessina au-delà de la grande île. Le navire de plaisance était amarré contre le quai, les prêtres franchissaient les portes et les divinités avaient entamé leur précaire ascension le long du sentier. Des marins et des soldats déchargeaient les offrandes et les effets des dieux. L’essentiel de la flottille avait accosté de l’autre côté du chenal sur la grande île, où les passagers auraient une vue imprenable sur la suite royale. L’attente serait longue et monotone : le second navire n’avait pas encore mis les voiles.

— Amon-Psaro sera bientôt en sûreté sur l’île, dit Bak, haussant la voix pour dominer le tumulte des eaux. Tu ne pourras plus l’approcher.

— Je mourrai en essayant, s’entêta Inyotef.

Le canot dépassa les deux îlots et fut happé par les tourbillons. Bak ne pouvait plus attendre dans l’espoir illusoire que le pilote baisserait la garde. Il se leva et adressa de grands signes aux hommes sur la berge, criant en priant pour qu’ils l’entendent malgré le fracas.

Inyotef se redressa, empoigna sa rame à deux mains et frappa. Bak, qui s’attendait à cette attaque et qui l’avait pratiquement invitée, esquiva. Le bord de la rame lui écorcha le ventre et y laissa des éclats de bois. Il agrippa fermement sa propre rame et la fit tournoyer. Inyotef bloqua le coup. Le bateau se cabra tel un étalon sauvage. Les deux hommes restèrent face à face, campés sur leurs jambes, leurs armes immobilisées l’une par l’autre, et attendirent que l’esquif redevienne stable.

Bak dégagea sa rame et tentait de s’écarter pour avoir plus d’espace quand il trébucha sur l’outre gonflée. Dans sa chute, sa rame glissa sur celle d’Inyotef et se planta dans la jambe valide du pilote, qui tomba à genoux. C’est ainsi que les deux hommes se livrèrent à un farouche corps à corps. Ils frappaient de toutes leurs forces, s’épuisaient mutuellement. Le bateau dansait et se cabrait, déviant tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche selon les mouvements de ses passagers, mais il ne perdait jamais très longtemps son cap. Un tronc d’arbre, peut-être le palmier qu’ils avaient vu plus tôt, flottait devant eux comme s’il les guidait sur le chemin de la destruction.

Bak sentait ses bras lourds à force de manier son arme de fortune, ses jambes étaient lasses de le maintenir à moitié agenouillé dans une position inconfortable, son ventre blessé brûlait, ses dents vibraient sous le choc du bois heurtant le bois. Du coin de l’œil, il aperçut des hommes accoudés au bastingage du navire de plaisance qui regardaient avec stupeur passer leur bateau, et des soldats qui descendaient le sentier en courant. Et en criant, lui sembla-t-il. Leurs voix silencieuses l’alertèrent et lui firent prendre conscience du grondement plus intense vers lequel ils se dirigeaient. Une sueur froide baigna son visage, pareille à une brume montant du tourbillon.

Glacé de terreur, il comprit qu’il lui fallait à tout prix arrêter cette course insensée vers la mort.

Inyotef frappa de nouveau. Au lieu de parer le coup, Bak suivit le mouvement que décrivait la rame. Alors que l’extrémité des deux avirons dépassait au-dessus de l’eau, Bak repoussa de toutes ses forces la rame d’Inyotef vers le bas et la bloqua contre la coque. L’esquif pencha sous leur poids et faillit les renverser. Le visage du pilote rougissait sous l’effort, les tendons saillaient sur son cou. Bak sentait tous ses muscles réclamer un répit. Il vit soudain un mur blanc devant eux, des eaux bouillonnantes au-dessus d’une barrière de granit noir luisant d’humidité, le palmier qui s’écrasait contre le roc, les éclats du tronc volant à travers l’écume.

Lisant la terreur sur son visage, Inyotef lança un coup d’œil par-dessus son épaule et lui cria :

— Donne-moi ta rame ! Je peux nous sauver !

Ne voyant pas d’autre solution, le lieutenant allait céder quand Inyotef dégaina son long poignard. Bak brandit sa rame pour dévier la lame et vite, de toutes ses forces, il frappa le pilote à la tempe. Inyotef lui lança un regard de surprise et laissa échapper le poignard avant de s’effondrer sur le bord du canot. Bak s’élançait pour le rattraper, mais au même instant, la barque heurta un obstacle. Sous son regard horrifié, les planches du fond se disjoignirent et les eaux écumeuses s’engouffrèrent à l’intérieur. Instinctivement, il ramassa l’outre gonflée et se sentit glisser dans le fleuve devenu fou.

 

Il fut saisi par les eaux blanches furieuses et tournoya, monta, retomba. Son corps était ballotté avec tant de force qu’il était réduit à l’impuissance, incapable de distinguer l’amont de l’aval ou même le haut du bas. Il était emporté comme un caillou, jeté de torrent en tourbillon, de tourbillon en cascade, écorché par des pierres, des pointes de rochers, des obstacles qu’il sentait sans les voir. Il épuisa bientôt le peu d’air que renfermaient ses poumons et eut la certitude qu’il allait mourir.

Battu par les vagues, il prit soudain conscience qu’il tenait toujours l’outre et la serra étroitement contre sa poitrine. Il pria avec l’énergie du désespoir. Sa tête rompit la surface et il respira l’air à longues goulées.

Gardant l’outre contre son cœur, il essaya de nager mais il fut de nouveau projeté contre un rocher, et aspiré en une spirale vertigineuse qui lui donna un avant-goût de l’au-delà. Le tourbillon le recracha et le lança vers le fond. Il heurta encore un rocher et se cogna le bras gauche si violemment qu’il hurla, et sentit sa gorge s’emplir d’eau.

Toussant, suffocant, il fut emporté par un courant rapide, mais uni. Quand il refit surface, quand il put de nouveau respirer et penser, il tourna la tête en tous sens pour chercher la berge. Il ne vit de part et d’autre que des îlots rocailleux, d’immenses parois abruptes et, çà et là, un banc de sable où subsistaient quelques touffes d’herbe ou un arbre rabougri.

Un bruit sourd et une brume impalpable l’avertirent que des eaux agitées l’attendaient en aval. La gorge nouée, il savait qu’il était trop épuisé pour lutter contre un autre rapide. Ne pouvant plus utiliser son bras gauche enflammé par la douleur, il coupa à travers le courant et nagea tant bien que mal vers la bande de terre la plus proche. Mais le courant s’accéléra et l’emporta loin de ce havre. Devant lui le fleuve disparut.

Il bloqua sa respiration, s’accrocha à l’outre de peau et se laissa entraîner dans une chute écumante. Les trombes verticales le précipitèrent vers le bas, le firent rouler sur lui-même et le jetèrent enfin dans une étendue d’eau calme. Il rassembla tout ce qui lui restait de force et de volonté pour nager vers une île, qu’il espérait être en réalité la rive occidentale du fleuve.

Alors il aperçut Inyotef gisant, pâle et inerte, sur un flanc rocheux, au milieu d’une mare peu profonde. Il aurait voulu le laisser là-bas pour qu’il vive ou qu’il meure selon le caprice des dieux, pourtant il ne pouvait s’y résoudre. Il s’approcha de lui lentement, conscient de sa propre faiblesse et de son épuisement. S’il devait se battre, il n’avait aucune chance.

D’une prudente distance, il observa la silhouette immobile. Inyotef était couvert de plaies et respirait à grand-peine. Dans sa pâleur cireuse, Bak reconnut la couleur de la mort.

Il monta sur le roc en vacillant et se laissa tomber à côté du blessé. Comment le fier capitaine d’antan avait-il pu s’attirer un sort aussi terrible ?

— Inyotef…

Le pilote ouvrit les yeux et forma un faible sourire.

— Je crois que… finalement…

Il s’interrompit, le souffle court. Il avait les côtes cassées.

— Finalement… je ne connaissais pas… les rapides… aussi bien que je le pensais.

— Tais-toi, recommanda Bak d’une voix bourrue et enrouée. Parler te fait du mal.

Inyotef aspira l’air lentement, avec circonspection.

— … Bien mieux… comme ça. Je n’aurais pas supporté… une sentence de mort.

Ses yeux se fermèrent, sa tête roula sur le côté.

Bak se plia en deux et posa son front sur ses genoux, affligé par la mort d’un homme qu’il avait cru son ami et, en même temps, soulagé que ce terrible voyage se soit achevé ainsi. Inyotef avait offensé Maât et ébranlé la balance de l’ordre et de la justice. Il fallait qu’il meure d’une manière ou d’une autre. Périr par le fleuve qui l’avait fait vivre n’était pas la pire des fins.

La main droite d'Amon
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